Elliott, jeune garçon débarque dans un nouveau quartier avec son père qui vient d'acheter une épicerie, « The Grocery ».
Nous suivons Elliott qui part à la découverte de son quartier et de ses habitants.
Tout devient rapidement ultra violent...
L’épicerie de quartier de monsieur Friedman est un établissement sans histoire. Le propriétaire, veuf, pousse son fils à sortir et à s’intégrer aux jeunes du quartier. Mauvaise idée : Sixteen et les autres gamins revendent de la dope et ce n’est sûrement pas le moment de se faire remarquer par le gang d’Ellis One, survivant de la peine capitale et revenu faire le ménage du quartier à la kalachnikov.
De son côté, Washington revient d’Irak sain et sauf, au contraire de bon nombre de ses camarades. Mais tout ce qu’il retrouve, c’est une maison saisie, et le seul parent qui lui reste, c’est sa grand-mère au cerveau lobotomisé dans une maison de retraite à force de regarder des jeux télévisés.
Bienvenue dans le monde sauvage de la rue, dans un quartier livré à lui-même et régi par la loi de la jungle, qui voit les forces de l’ordre tomber sous le joug d’un gang de tueurs se baladant en Hummer jaune dans la plus totale impunité. Mieux vaut avoir le coeur bien accroché car le scénario de Aurélien Ducoudray se veut sans concession. Son expérience dans le journalisme apporte une véracité à sa description poignante de cette zone où le quotidien des habitants se partage entre règlements de compte, revente de drogues et errance dans la rue pour ceux qui ont tout perdu.
Le dessin décalé de Guillaume Singelin (révélé par l’excellent Doggy Bags réalisé avec RUN et Florent Maudoux), et ses personnages à tête de mascottes cartoons et animaux rigolos, désamorce le côté glauque de l’histoire mais parvient à viser juste par un graphisme résolument moderne fait de jeux de textures sur une imagerie urbaine underground.
« Ce muppet show urbain » comme le dit Guillaume Singelin ne manque pas de soulever des problèmes d'actualité comme la crise des subprimes, la guerre en Irak ou les trafics de drogue...
Avec son dessin faussement naïf qui fait penser à un mix entre le trait nerveux de Run (Mutafukaz) qui l'a très clairement influencé, et l'esprit beaucoup plus léger et expressif de Jim Hanson (the Muppets, Sesame Street), The Grocery (chez Ankama, par Guillaume Singelin et Aurélien Ducoudray) est une bonne grosse plongée malsaine dans une Amérique de la dèche, des gangs et des dealers à la petite semaine avec des têtes d'animaux indistincts, portant casquettes et aimant le skate. Côté histoire, on part d'une tonalité qui m'a étrangement rappelé la série The Wire (encore, mais n'est ce pas avec les Soprano la meilleure série de ce début de siecle?), avec son petit quartier familier, son attachant épicier, mais un The Wire moins trafic, plus de la décrépitude, où le temps fait ravage mais ne fait plus effet. On peut aussi penser à l'Amérique citadine de Will Eisner, avec ses petites gens qui vivent de la débrouille et parviennent à amener de la poésie dans le béton, la poussière et les déjections diverses.
Effectivement, la violence, une forme d'ultra violence même, est très présente. Et pourtant, ça sonne terriblement juste. Nous ne sommes pas dans la "surenchère", ni dans l'excès, encore moins dans un sujet "facile" histoire de provoquer, de choquer, d'indigner, de révolter...
Il est étrange de voir ces gamins se faire entraîner, d'eux même et malgré eux, dans cette spirale qui pour la plupart risque d'être fatale. C'est brutal et sans fard, et pourtant, il y a dans les personnages une forme "d'innocence", quelque chose de très proche, une proximité "dérangeante" et ce récit, ces personnages sont au final tous terriblement humain. (sauf peut être la grand méchant et les nazis, mais symboliquement ils sont cohérents...et encore, l'inhumain n'est-il pas humain ? )
Chaque personnage semble s'enfoncer un peu plus à chaque pas dans cet enfer et pourtant, "l'espoir", la possibilité de "respirer" un peu dans ce monde violent et froid est sans cesse présente, sans tomber dans la niaiserie ou un idéalisme moralisant.
De nombreux sujets de société, d'actualité, sont abordés, sans qu'on ne tombe dans le cliché, malgré des scènes qui "qu'elles ne pouvaient exister dans la réalité"...et pourtant ? Est-on si éloigné que ça d'une forme de réalité "outre atlantique" ?
Avec ses personnages de méchants très méchants nazis, qui bouleversent le fonctionnement de la communauté et édictent de nouveaux codes mafieux sans concession, ultra-violents et où tout espoir de tranquillité est annihilé. Une bande d'ados grande gueule se retrouve à devoir répondre de ses ventes de dope au nouveau parrain, un fumier taille XXXL qui a réussi à survivre à quatre décharges sur la chaise électrique et a été libéré. Dire qu'on est tellement mauvais que l'on ne peut pas griller sur la chaise, voilà de quoi se créer une légende et en imposer ! Les forces de l'ordre sont vite dépassées, les citoyens impuissants et tétanisés devant la soudaine recrudescence de violence sans aucune concession et le génie du mal peut s'imposer avec l'appui de trois hommes de main psychopathes qui feraient des cibles de choix de Dexter. Il ne faut pas pour autant s'attendre à ce qu'il y ait des gentils dans tout ce chaos, on est plus chez Abel Ferrara que chez Tarantino, genre, et on en vient vite à se dire que les adolescents ne sont que les versions jeunes des vilains auxquels ils sont appelés à se mesurer et dont ils doivent apprendre à survivre.PLus qu'à la bande dessinée, c'est aux séries de fiction américaine ou au cinéma que l'on pense à la lecture du livre : Baltimoire en toile de fond (The Wire), le tueur qui cite la bible comme chez Tarentino (pulp fiction), le bowling comme chez les frères Coen (the big lebowski) ...
La mise en couleur est particulièrement réussie et le scénario, à la trame classique, se déroule de manière rythmée et efficace. Malheureusement sans vraiment de grandes surprises. On pourrait aisément imaginer une série qui n'aura pas de fin, multipliant les scènes où les morts sont de plus en plus violentes, de plus en plus outrancières. L'issue du premier tome nous rappelle qu'il ne faut jamais rien devoir à un roi de la pègre, et que les chaînes qu'il nous met au cou vont devenir encore plus lourdes et plus épaisses au fur et à mesure que l'on en devient dépendant. On ne prend pas de risque à penser que tout cela va très mal finir, et le pire c'est qu'on y trouvera un certain plaisir, un exutoire et un défouloir, toutes choses qui, parfois comme ici, produit un art furieux, électrisant et douloureux. Comme interpellé en couverture : "Ouais, gros !"
Laissez vous donc surprendre par The Grocery, une œuvre rare qui vous bousculera par la rudesse de son propos et qui vous ravira par l’originalité de son traitement. Après en avoir lu seulement quelques pages, vous saurez déjà que l’attente du second tome sera longue, oh oui, bien longue… même s'il est prévue pour février!
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