Tel un calendrier de l'avent, les livres de notre sélection se révèlent au fil des jours. Aujourd'hui, nous allons parler d'un monument de la bande dessinée américaine moderne.
Au même titre que Watchmen d'Alan Moore (qui a aussi commis La Ligue des gentlemen extraordinaires avec Kevin O'Neill qui sera parmi nous jeudi), Le Dark Knight returns est une (r)évolution de l'image du "Super" moderne, et nous fait entrer de plein pied dans l’aire grim & gritty, où les personnages sont moins lisses et manichéens qu'ils ne l'étaient jusqu'à présent.
Un véritable mouvement de rénovation du genre, explosant codes et tabous. Le rapport tabou à la mort est d'ailleurs l'un des points de départ de ce Dark knight returns, la mort inexpliquée de Jason Todd est la raison de la retraite de Bruce Wayne, mais dix ans après Gotham City écœure son protecteur, lui qui a vieilli plutôt mal, tout comme sa ville.
Wayne est grim & gritty.
Il est légitime de se méfier d’une telle étiquette, mais dans le cas qui nous occupe, elle résume efficacement la démarche mise en œuvre dans The Dark Knight Returns par Frank Miller et aussi dans Watchmen par Alan Moore et Dave Gibbons. Ces deux séries, publiées par un des deux grands éditeurs américains (DC et Urban pour la réédition française), portent en effet un regard explicitement critique et analytique sur le genre auquel ils appartiennent. La remise en cause de ces conventions, cette distance ré-instaurée entre le lecteur et le récit d’un genre populaire, n’est bien sûr pas un phénomène neuf, mais prend une résonance très particulière dans le cadre de la naïveté supposée de textes super-héroïques.
Par l’ambition qu’ils affichent, The Dark Knight Returns et Watchmen ne se contentent donc pas d’introduire un questionnement des codes à l’intérieur du genre, mais apparaissent également comme des manifestes en faveur d’une réévaluation esthétique et intellectuelle de celui-ci. La démarche est d’autant plus signifiante qu’elle prend la forme de séries largement diffusées, chez l’éditeur détenteur des droits de Superman, et rencontre un véritable succès public.
Si un article élogieux dans Rolling Stones Magazine inaugure de façon très positive l’accueil critique de The Dark Knight Returns, il devient vite évident que toutes les réactions ne seront pas aussi enthousiastes. L’idée même d’une bande dessinée de super-héros traitant des questions philosophiques ou politiques, en adoptant pour ce faire une forme ambitieuse, provoque la défiance chez des critiques peu préparés à ce retournement. L’écrivain Mordecai Richler se livre ainsi à une attaque violente contre l’ouvrage dans les colonnes du New York Times Book Review, dénonçant pêle-mêle son positionnement politique, ses aspirations artistiques, sa complexité, sa noirceur ou sa verbosité. Une telle position souligne nettement l’inconfort que peut susciter le traitement de problématiques complexes au travers d’une forme supposée naïve et dépourvue de légitimité. Parallèlement à ces réactions extérieures et parfois mal informées (Mordecai cite ainsi son fils en tant qu’ « expert de ces questions »), l’impact de The Dark Knight Returns et de Watchmen se fait également sentir au sein du genre dont il se réclame. Est-il encore possible de perpétuer des formules héritées de la fin des années 60, lorsque deux ouvrages à succès les ont publiquement mises à mal ?
Batman apparaît en 1939 dans le numéro 27 de Detective Comics, revue jusqu’alors consacrée à des bandes policières classiques, après que la vogue des super-héros a convaincu ses responsables qu’une nouvelle direction était nécessaire. Batman est en réalité Bruce Wayne, un richissime play boy qui décide de s’habiller en chauve-souris pour venger le meurtre de ses parents, abattus sous ses yeux par un voleur lorsqu’il était enfant. Contrairement à Superman, Batman est masqué, vêtu de couleurs plus sombres, et ne possède pas de super-pouvoirs. A l’exception du costume (collant, cape), il est plus apparenté aux héros de pulps qu’à cette vision de science-fiction naïve qu’est Superman. En fait, le personnage serait même lointainement inspiré par une création de Murray Leinster pour Black Bat Detective Mysteries, un pulp policier de 1934.
En 1986, en marge de son vaste projet de rénovation de son univers, DC lance successivement deux projets d’ampleur, confiés aux mains de talents parmi les plus pointus du monde du comic book américain. Frank Miller, qui a assuré à lui seul une bonne part de l’originalité de Marvel au début des années 80, à défaut de ses meilleures ventes, est ainsi chargé de donner sa vision d’un Batman vieillissant. Bien que travaillant théoriquement sur un futur hypothétique, un « what if », il fournit un véritable épilogue aux aventures du deuxième héros le plus populaire du groupe. Le résultat se nomme The Dark Knight Returns.
The Dark Knight Returns, le plus souvent appelé simplement Dark Knight , est un récit comportant quatre chapitres, atteignant au total 184 pages. Publié initialement sous la forme de fascicules de 50 pages, un par chapitre, il est depuis réédité régulièrement en un seul volume. Bien que constituant des articulations nettes du récit, les différents chapitres ne sont pas indépendants, et leur réunion constitue un unique récit, à la conclusion ouverte. L’histoire se déroule dans un futur proche (pour l’époque), puisque l’on reconnaît Ronald Reagan dans le rôle du président des Etats-Unis. Cela fait alors dix ans que Batman a pris sa retraite. Robin, son comparse, est mort et le commissaire Gordon, son allié consacré au sein des forces de police, est à quelques jours de la retraite. Un gang de racailles, les « mutants », hante les rues de la ville,tandis qu’à la télévision, des psychiatres discutent de la légitimité des héros costumés. Dépressif et hanté par les images du meurtre de ses parents, Bruce Wayne décide de revêtir de nouveau le costume de l’homme chauve-souris lorsqu’il apprend la libération de l’hôpital psychiatrique d’un de ses adversaires les plus emblématiques, Double-Face/Harvey Dent. Le scénario de Dark Knight permet d’entrevoir sa richesse thématique, mais ne prend bien sûr son sens que dans sa matérialisation graphique. Le trait de Miller renvoie en effet à une esthétique« grim and gritty », proche du film noir, qui ne fait que de brèves mais frappantes concessions aux couleurs primaires en vigueur dans les classiques du genre. Miller n’hésite pas à transformer sa page en une grille compacte, juxtaposant jusqu’à seize cases sur une seule page. On a là un refus singulier de l’identité visuelle des super-héros en général, encore renforcé par le recours massif à des écrans de télévisions venant commenter l’action. Paradoxalement, la représentation choisie par Miller, où le dit écran surplombe la retranscription des paroles échangées sans qu’il y ait interpénétration renvoie aussi bien à la télévision qu’aux premières bandes-dessinées, avant l’invention du phylactère 'la bulle pour ceux qui ne savent pas). L’aspect visuel de Dark Knight est donc une tentative de maintenir un équilibre entre la préservation des éléments familiers du genre et une singulière neutralisation de certains de ces éléments. La grille serrée, les longs passages quasi monochromes, mais aussi la désintégration des traits des personnages, réduits à des lignes brisées et ne prétendant pas au « réalisme » sont autant d’éléments qui dénotent une bande dessinée « sérieuse », à l’opposé d’un simple divertissement.
Cependant, ce qui fait le prix de Dark Knight n’est pas seulement la richesse de son graphisme (il faudrait d’ailleurs également parler du travail de Lynn Varley, coloriste de l’ouvrage), mais bien la synthèse entre cette représentation et le récit lui-même.
Dark Knight interroge également la figure du super-héros lui-même, telle qu’établie depuis Action Comics n°1. La volonté de Batman de transformer son action de justicier solitaire en un moteur de rénovation sociale, de s’attaquer aux causes et non aux symptômes, en d’autres termes d’ajouter d’une dimension ouvertement politique à son action va à l’encontre d’une des constantes les mieux établies du genre.
Ouvrage inclassable, mais néanmoins classique et culte du genre, The Dark knight returns est un bijou qui a tout de même coûté beaucoup à Miller, puisqu'il s'est engueulé pour toujours avec son génial encreur Mr Klaus Janson, on peut le remarquer surtout dans le troisième chapitre.
Aujourd'hui encore ce livre est une référence pour un grand nombre, notamment Greg Capullo (actuel dessinateur de la série principale Batman) et sa lecture devrait être obligatoire!
Pour couronner le tout Urban a eu la grande idée de joindre à l'album le DVD/Bluray de la première partie de l'adaptation de The Dark Knight en animée et le résultat est vraiment superbe!
Un cadeau indispensable pour noël.
Petite précision, seul le premier tirage comporte le film.
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