Très très bon polar bien troussé et glauque à souhait rehaussé par un dessin très réaliste de Sean Philips.
Chaque tome raconte une histoire isolée mettant en scène des criminels, des petites frappes, des putes et des mafieux, évoluant ensemble dans un univers poisseux : la violence y est le langage, l’alcool et la drogue sont à la carte dans tous les drive inn et les dinners, la morale est une valeur oubliée, quand on vous dit que cette série est le Sin City de Brubaker! C'est crade et ça pue comme dans les égouts, le mérite et les promesses n'existent que dans les yeux de ceux qui y croient. Mais c'est en couleur, comme quoi il n'y a pas que le noir & blanc qui donne une ambiance.
CRIMINAL, Tome 1
Une ex-junkie. Un ancien détenu épileptique. Un pickpocket. Des flics véreux. Le casting est parfait et le casse, du billard. Bien sûr, rien ne se passe comme prévu. Mais s’il est une chose qu’une vie de braquages a apprise à Leo, c’est qu’il existe toujours une porte de sortie pour les lâches. Et il n’y a plus d’honneur lorsqu’il est question de survie. Quoique…
Ed Brubaker est nommé pour les Eisner Awards 2007 dans la catégorie “Best Writer” en tant qu’auteur, mais également dans la catégorie “Best New Series” pour "Criminal", dont ce tome regroupe les cinq premiers fascicules.
Bien sur il obtient les deux prix (dans la catégorie meilleur auteur, c'est pour l'ensemble des titres qu'il aura écrit cette année; Captain America, Daredevil et donc Criminal!).
Ed Brubaker commence tout doucement à faire partie de ces auteurs dont la seule présence du nom sur une couverture déclenche une sorte de reflexe pavlovien de lecture inéluctable. L’auteur qui osa assassiner "Captain America" est un habitué du monde du crime ("Gotham central", "Sleeper", "Catwoman", ...) et du développement du côté sombre de superhéros ("Daredevil"). Avec cette histoire de gangsters bien sombre, il demeure donc dans son domaine de prédilection.
"Criminal" a beau reprendre les classiques du genre (le braquage de trop, la femme fatale, le policier véreux, le barman bonne poire, le baron de la drogue, un passé commun regrettable, un agenda double …), Brubaker parvient tout de même a construire un récit efficace qui ne sent pas le réchauffé. Il parvient ainsi à donner de l’épaisseur à des personnages qui ont certes le profil de l’emploi, mais ne tombent pas pour autant dans le piège des stéréotypes.
"Criminal" est un comics sans superhéros, ni de valise pourvu d’une arme banalisée et de 100 balles intraçables ("100 Bullets, on fera un article de fond dessus, un jour...") ou autres éléments externes. Dans cet environnement très terre-à-terre, les magouilles et alliances sont omniprésentes, le sens moral ambigu, les protagonistes captivants et l’atmosphère pesante. Le casting puise d’ailleurs dans les bas-fonds d’une grande ville américaine et chaque protagoniste passe son temps du mauvais côté de la loi. Du coup, s’attacher à ce criminel au caractère atypique semble finalement être un moindre mal pour le lecteur. Avec «Lâche», Brubaker met le courage de cet antihéros tourmenté à l’épreuve, le poussant à flirter avec les règles du milieu : celles qui permettent de rester en vie !
"Criminal" est également un comics sans dessin flashy. Le dessin est réaliste, l’encrage solide, le jeu d’ombres approprié et la colorisation (de Val Staples) colle parfaitement au décor et contribue à faire ressortir la noirceur du récit et des personnages. Sean Philips ("7 Psychopathes", "Sleeper", ...) livre du bon boulot, parvenant même à rendre la moindre conversation attrayante et à l’envelopper d’une brume de suspicion et de mystère.
Cet excellent premier volet qui saura ravir les amateurs de polars réalistes a des allures de one-shot et peut donc se lire totalement indépendamment.
CRIMINAL, Tome 2
De retour au pays après plusieurs années dans l'armée, Tracy Lawless apprend la mort de son petit frère Rick, devenu criminel de bas étage peu après son départ. Afin de le venger, Tracy infiltre son ancien gang et plonge chaque jour un peu plus dans le quotidien sordide du Milieu. Son unique atout : personne n'a la moindre idée de qui il est et de ce dont il est capable.
Malgré les allures de one-shot de l’excellent premier volet, "Criminal" livre une deuxième histoire.
Le lecteur a beau entrevoir certains personnages du premier tome, tels que La Grogne (le barman de l’Undertown), Leo Patterson (le lâche du tome précédent) et Angie (la petite orpheline), cette nouvelle histoire peut se lire totalement indépendamment de la première. Situé chronologiquement après le récit précédent, cet album nous fait suivre les pas et le raisonnement de Tracy Lawless : un militaire de retour au pays afin de venger la mort de son petit frère Rick. La première partie de son plan consiste à infiltrer l’ancienne bande de son frère.
Ed Brubaker confirme ici tout le bien qu’on pensait du premier volet de cette série. Une nouvelle histoire de gangsters, de mauvais coups qui se préparent et d’affaires qui sentent l’entourloupe à plein nez. S’appuyant sur les poncifs du genre Brubaker parvient à construire un récit efficace et bien rythmé, tout en donnant de l’épaisseur à des personnages qui ont certes le profil de l’emploi, mais ne tombent pas pour autant dans le piège des stéréotypes.
Les dialogues réalistes et cette narration en voix-off qui puise dans les pensées les plus sombres des protagonistes, font également mouche et installent cette série comme l’une des références en matière de polar US. Sean Philips ("Sleeper") arrive à rendre la moindre conversation attrayante et à l’envelopper d’une brume de suspicion et de mystère.
CRIMINAL, Tome 3
1972. Jake "La Grogne" Brown n'est pas encore le patron boiteux de l'Undertown et c'est fièrement qu'il parade sous les projecteurs des rings de boxe. Teegar Lawless, père de Tracy, débarque du Vietnam avec pour seules compétences, sa déconcertante facilité à flinguer. Point d'achoppe de ces destins : Danica, femme fatale, manipulatrice et... véritable tragédie vivante !
Les récits ont beau être totalement indépendants, le lecteur croise cependant chaque fois certains personnages des tomes précédents. Ce troisième album permet ainsi de retrouver le très attachant Jake «La Grogne» Brown dans la fleur de l’âge, avant qu’il ne devienne le barman boiteux de l’Undertown. Mais il permet également de découvrir le passé de Teegar Lawless, le père du personnage central de tome précédent : Tracy Lawless. On croise même Rick, le petit frère, dont Tracy voulait venger la mort dans le tome deux. Il faut également souligner la construction maitrisée de cette histoire et la narration irréprochable de Brubaker. La construction en trois chapitres, un par protagoniste, qui finissent par se rejoindre autour d’une trame commune est diablement efficace. Un récit choral qui invite à suivre séparément le passé de La Grogne, de Teegar Lawless et de Danica, la femme qui lie toutes ces destinées au fil des pages.
CRIMINAL, Tome 4
Père de famille heureux, loin de la violence dans laquelle il a été élevé, Jacob Kurtz est devenu l'ombre de lui-même après son inculpation pour le meurtre de sa femme. Insomniaque depuis lors, il erre en ville chaque nuit. Lors d'une virée, il croise la route d'un couple à la dérive. Commence alors une longue, très longue nuit. De celle qui vous délivre... ou vous achève.
Parfois, mieux ne vaut rien révéler et laisser le plaisir de découverte au lecteur. C’est le cas pour l’histoire de Jacob Kurts, un looser insomniaque qui a déjà beaucoup perdu dans la vie (et le reste devrait suivre), et d’Iris, dont le prénom (et le corps) la prédestine à croiser le regard des hommes. C’est dans les bas-fonds d’une ville déjà peu reluisante que l’estropié et la belle rousse vont se rencontrer. Lui, ancien faussaire essayant de maquiller son passé, elle, femme fatale n’ayant pas froid aux yeux (entre autre). Dès le premier regard, tout part en vrille ... c’est le début d’une "Putain de nuit !"
Au menu de ce nouveau one-shot de l’univers de "Criminal", un héros pitoyable et des fréquentations qui sentent l’entourloupe à plein nez. L’ambiance est sombre et pessimiste et le quotidien est celui du Milieu. Le casting ultra-réaliste puise dans le désespoir d’une grande ville américaine et s’attacher à cet escroc reconverti en dessinateur de strip amoureux semble finalement être un moindre mal.
Ce tome 4,est sans doute le plus personnel de la série . D'une part, Brubaker sort un peu de sa "logique Sin City" et va chercher un personnage apparemment un peu extérieur au milieu de malfrats qu'il décrit dans les trois premiers volumes. Et d'autre part, il travaille sur une intrigue qui, au premier abord, semble assez originale.
Alors bien entendu, on retrouve au fil des pages quelques classiques du genre, notamment celui du gangster repenti (en l'occurrence un faussaire, ce qui est plus rare qu'un braqueur). Et Jacob évoque un peu le Marv (fascination pour la femme furie sexuelle) et le Wallace (un mec "apparemment" normal) de Frank Miller. Et les "vilains" de l'histoire sont des petites frappes sordides, ce qui redirige vers des écrivains comme David Goodis, par exemple : l'intrigue a quelque chose de crapuleux et de poisseux qui la rend encore plus angoissante que les trois précédents volumes.
Ce qui est intéressant aussi, c'est le rapport à la création, à l'émergence de la fiction dans la réalité et à la folie. Faire ça au sein d'un polar, c'est assez roublard, et ça fonctionne vraiment très bien.
Graphiquement, Sean Phillips est très en forme. Il s'épure, il va au trait immédiat, parfois succinct, parfois tremblé, à l'économie.
CRIMINAL, Tome 5
Un de ceux en qui on peut avoir totalement confiance. Par moment, il réfléchit trop et rechigne à tuer quelqu'un qui ne le mérite pas, simplement parce qu'on le paye pour ça...
Pourtant, son employeur, bien embêté par son rendement actuel, lui confie une mission de la plus haute importance : quelqu'un en ville semble vouloir prendre sa place, et il est hors de question qu'il le laisse faire...
C'est le retour de Tracy Lawless, et le premier volume à reprendre le meme personnage principal.
Cette fois ci il se grime en detective privé, tout droit sorti d'un bon pulp de James Crumley, un coté C.W. Sughure dans le coté merdique que donne Brubaker à Tracy.
Depuis un an Tracy éponge la dette posthume de son frère, sans pour autant réussir à être un bon tueur, mais son boss n'a pas d'autres choix que de le garder, ses autres bras droits disparaissent de l'état civil...
Le voila charger de l'enquete, qui peut donc tuer des hommes dits "intouchables" mais sans rapports de prime abord?
Le boss de Tracy est parano, croit que celui ci s'envoit sa fille, alors qu'en fait c'est une autre.
pour compliquer le tout un militaire arrive en ville avec la ferme attention de mettre le grampin sur Tracy le deserteur!
Le récit est bon et rondement mené, le rythme et l'intrigue sont soutenus.
Cet album est meme un tres bon album pour découvrir la série, car facile d'acces, et meme si le personnage de Tracy n 'est pas Blanche neige, il reste tout de meme le "gentil".
De plus, en bonus une courte histoire sur la liberté de la presse à la sauce Criminal donne le ton!
5 tomes indépendants, un héros désabusé et un portrait de l'Amérique des bas-fonds, Criminal est le polar noir américain de référence !!
Oui, Brubaker est un excellent narrateur. Il crée des machine bien huilée. Une fois que l'histoire est partie, difficile de décrocher. Cependant, dans la narration-même, on est sur du classique qui ne va pas révolutionner le genre : un peu de souvenirs, un peu de traumatisme, un peu de mensonge, un peu de sexe, un peu de fausse identité, un peu de mauvais garçons… Rien de révolutionnaire, mais un gros travail de fond sur un genre qui avait fait les beaux jours des comics dans les années 50, et dont Brubaker se fait un défenseur de nos jours.
Après, effectivement, les lecteurs de polars compulsifs ne vont pas trouver chez Ed Brubaker une grande nouveauté. il s'agit d'une transcription BD des codes de la Série Noire. Ces lecteurs pourront s'avérer déçus.
En revanche, les lecteurs de comics, pour peu qu'ils soient curieux, seront ravis de voir qu'un auteur à succès explore à nouveau un genre qui a tout pour être populaire.
On verra à l'usure si le roman noir prend racine dans le marché comics, mais on peut déjà considérer que Brubaker montre aux lecteurs des voies "nouvelles", des voies différentes de celle des super-héros. En ce sens, si le genre s'installe (et ce n'est pas impossible), on lui en sera redevable, de même que le marché est redevable à la LEAGUE OF EXTRAORDINARY GENTLEMEN d'Alan Moore d'avoir montré que l'on peut explorer la littérature populaire pour y trouver des sujets passionnants (dans quelle mesure les nouvelles exploitations de Burroughs ou Lovecraft doivent à Moore, ça reste à calculer !).
Mais au-delà de la qualité intrinsèque de chaque tome (finesse des personnages, qualité de la narration etc.), et ce qui est réellement fascinant, c'est que chaque histoire s'imbrique dans une histoire globale de plus en plus dense et riche, à savoir le monde criminel qui gravite autour de l'undertow(n), où chaque action, chaque personnage, chaque histoire, apportent leurs pièces au puzzle concocté par Ed Brubaker, sidérant de maitrise.
Dans cette perspective, la démarche de Brubaker, même si elle est balisée par des codes et des poncifs, est beaucoup intéressante et méritoire que celle de Mark Millar (qui s'obstine à décliner le thème du super-héros - WANTED, KICK-ASS, 1985 - son CHOSEN demeurant une exception désormais fanée) ou celle de Brian Bendis (qui, pour le coup, avait rajeuni le polar, tant dans sa forme que dans sa narration ou son ambition, et désormais se complaît dans le spandex décompressé sans rien apporter de neuf).
Et si vous voulez découvrir l'anti héros emblématique de Crumley, lisez les titres suivants:
Romans de la série C.W. Sughrue
- Le Chien ivre (The Last Good Kiss, 1978) Fayard (1980). Réédition avec une nouvelle traduction Le Dernier Baiser, Trophée 813 de la meilleure réédition 1987, 10/18 n°1796 (1986)
- Le Canard siffleur mexicain, Dashiell Hammett Award 1994 (The Mexican Tree Duck, 1993) Gallimard "La Noire" (1994).
- Les Serpents de la frontière (Bordersnakes, 1996) Gallimard "La Noire" (1996)
- Folie douce (The Right Madness, 2005)
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